Le tigre et la sirène (pv Rayne)

N’était-il plus possible de se promener librement? Fallait-il que chaque mouvement, chaque geste, chaque parole soient enregistrés? Rayne détestait l’idée que quelqu’un puisse la traquer où qu’elle soit. Elle aimait sa liberté plus que tout, plus que n’importe qui. Même Ellianne. Sa liberté, c’était l’essence de son être. Elle avait été une reine, un monstre, une sœur aimante. Elle se mouvait dans le monde sans restriction, n’obéissant qu’à sa volonté. Elle n’avait de comptes à rendre à personne et ça ne commencerait pas aujourd’hui!

Elle suivit l’escorte sans résistance, toutefois. Elle avait ses propres motifs pour se plier à la volonté de celui qui la faisait inviter si formellement. Elle voulait rencontrer le fiancé d’une des deux personnes qui comptaient le plus à ses yeux, malgré les moyens déplaisants qu’il employait. Elle y voyait sa façon de déclarer son pouvoir et sa position sociale, et elle ne pouvait vraiment le blâmer. Il devait être intimidé par la présence qu’elle était dans le cœur d’Ellianne et voulait s’affirmer et y confirmer sa place légitime. Ça, seule la jolie blonde pouvait en décider. Rayne ne pouvait qu’approuver ou non son choix de partenaire, non pas que ça changerait quoique ce soit. Elles avaient cela en commun, elles aimaient faire à leur tête quoiqu’en dise les autres.

Lorsqu’elle fut introduite dans la pièce, elle se retrouva face à un homme physiquement esthétique et clairement de l’Empire. Tout en lui respirait Ahi’Kufu. Qu’espérer d’autre d’un daimyo impérial? Avec sa permission, elle prit place de façon plutôt informelle, jambes croisées, coude appuyé sur son dossier. Elle n’avait pas pris la peine de s’incliner ou de montrer une forme de déférence quelconque. Elle n’était pas venue rencontrer le rang, elle était venue voir l’homme qui allait épouser Ellianne. Ce n’était pas ses blessures ou sa position qui allait l’attendrir, son jugement serait implacable.

« Rayne Whitefeather je présume... Je suis Akechi Amatsuki, second Daimyo impérial et fiancé d'Ellianne. J'ai beaucoup entendu parler de vous. »

C’était donc lui. Elle le jaugea longuement du regard, tentant de discerner ce qu’il était. Elle n’allait pas commettre l’impolitesse de pénétrer son esprit, par respect pour Elli. Et puis, il y avait des choses qu’elle ne désirait pas savoir. Ils avaient leur espace pour leurs secrets et leur intimité, elle ne viendrait pas s’y imposer.

Une jeune femme revint avec ce qu’elle ne pouvait que supposer être du thé. Ils furent tous deux servis avant d’être laissés seuls et ils purent s’observer mutuellement en toute tranquillité, car nul doute qu’il faisait de même. Elle lisait dans son regard une intelligence et une vivacité d’esprit à ne pas sous-estimer. Il serait un dangereux adversaire en combat, elle le devinait d’instinct. Heureusement, puisqu’elle n’aurait jamais accepté un faiblard comme compagnon pour sa petite sœur de cœur.

« Trêves de formalités... Puisque nous sommes tout deux liés à la même personne, je suppose que nous avons beaucoup à nous dire afin de nous connaître. »

Rayne haussa un sourcil et répondit par un demi-sourire, amusée. Elle n’allait pas laisser passer sa chance d’émettre un petit commentaire plein d’ironie. C’était sans méchanceté, mais elle voulait lui laisser savoir qu’il était hors de question qu’elle se fasse manipuler comme un simple sujet de l’Empire. Elle était bien plus que cela, ils le savaient tous deux.

- Apparemment, nous vivons sous le même toit. Il aurait été plus simple de faire connaissance à table autour d’un bon plat, non? Je ne suis pas fan de… tout ça.

Elle indiqua la pièce, mais elle faisait référence au système en général. Si elle acceptait le fait que les humains avaient besoin d’une main forte pour les diriger afin qu’ils ne fassent pas trop de bêtises, elle trouvait que les dirigeants aimaient bien trop souvent se prendre pour des dieux. Le pouvoir avait cet effet, elle le savait bien, mais pour qui se prenaient-ils à la fin?

Elle avait l’impression qu’il en faisait un peu trop, ou peut-être n’essayait-il même pas de l’impressionner. Peut-être était-ce la façon dont il était au naturel. Elle déciderait plus tard si elle aimait ce qu’il était. Pour le moment, dans sa robe courte d’un bleu profond tirant sur le vert, simple et sans motif, la taille enserrée par une bande argent, elle avait l’impression de jurer dans le décor. Et peut-être aussi trop peu habillée comparé à Akechi sous ses dix-huit kimonos. Comme toujours, Calarenne n’était pas loin. L’épée démesurée était appuyée sur la chaise, à portée de main; elle n’était jamais trop prudente. Elle portait, bien entendu, les différentes amulettes, celle de Shiro à la garde de Calarenne, celle d’Elli au cou et celle de Glen au poignet droit. À ses pieds, de simples sandales argentées qui ne juraient pas avec son élégance simple, mais qui lui permettait de se battre sans se tordre une cheville.

Elle tendit la main vers la tasse qui devina être la sienne, huma le thé et sourit, décidant que le choix de la saveur était à l’avantage du jeune homme. Elle en prit une gorgée, appréciant le goût subtil mais reconnaissable. Peut-être avait-ce été involontaire, peut-être Ellianne lui avait fait savoir qu’un thé fruité était préférable.

- Alors, vénérable daimyo, que veux-tu savoir? demanda-t-elle en balayant une mèche de son visage. Je satisferai ta curiosité, si c’est la seule raison qui t’as poussé à me convoquer ici.

Bien entendu, le tout était teinté d’ironie, le titre peut-être un peu plus que le reste. Elle ne mentait pas, toutefois, acceptant de se prêter à son jeu. Elle était de bonne humeur et voulait bien discuter avec lui tant et aussi longtemps qu’elle s’y plairait. Elle était libre de partir lorsqu’elle le voudrait, après tout.