Eclipse pour un soleil noir [PV Etel]

Varig avait toujours détesté la mer en général et les bateaux en particulier. Contrairement à ce que l'on aurait pu croire en voyant son air nauséeux, il ne souffrait absolument pas d'un quelconque mal de mer; en revanche la puissante odeur d'iode saturait son nez délicat de signaux écœurants, jusqu'à l'insupportable. De même le vacarme des moteurs, qui pouvait sembler tout à fait anodin à un humain normal, représentait une véritable torture pour son ouïe de mutagène. S'il n'avait pas fait nuit, la lumière du jour aurait achevé de le rendre fou.
Vous l'aurait compris pour s'infliger un long voyage en bateau, il fallait vraiment que l’enjeu soit de taille. Et il l'était.
Tentant une minute de s'arracher à son supplice, il regarda la "fine équipe" rassemblée sur le hors bord qui filait entre les vagues.
Etel se tenait accoudé au bastingage de poupe, le plus loin possible des autres occupants du bateau, et s'appliquait à garder un air impassible. Il jetait régulièrement de petits coups d’œil vers Varig, sans doute nerveux. Le tueur n'avait pas revu le Teremundo depuis sa mission au village tribal, mission réussie mais qui lui avait valu un désagréable séjour dans les prisons de Blitzness. Il s'en était bien tiré, mais avait manifestement encore un peu à apprendre sur le métier de tueur. Mais le débriefing attendrait.
Le reste de l'équipage était un motif d'inquiétude autrement plus pressant. Une petite dizaine d'hommes ayant plus l'air de voyous des bas fonds que de soldats, armés de fusils automatiques ou de pistolets, le plus souvent sans gilet pare-balle. La "petite armée" personnelle du commanditaire officiel de la mission, Boss Nasse. Un grand jeune homme dont le visage devait sans doute être beau mais avant d'être laminé et brûlé avec une méticulosité sadique. Quand il souriait -et il souriait peu fort heureusement- on avait l'impression de voir un crane sanguinolent en voie de décomposition plus qu'un homme vivant.
Varig s'approcha de lui et lui tapota l'épaule pour qu'il se retourne. Ce genre de cicatrice ne l’impressionnait pas, mais il devait admettre que le soleil noir avait fait là un avertissement vivant.

-Nous arrivons bientôt?

Le boss sourit de toute ses dents, ou plutôt de tous ses crocs puisqu'elles avaient été remplacées par des prothèses en argent tranchantes comme des rasoirs. Derrière Varig, un des hommes camoufla péniblement un hoquet d'horreur sous une quinte de toux.

-Oui bientôt, très bientôt... Enfin j'aurai ma vengeance.

Varig ne réagit pas.

-Vos hommes m'inquiètent. Ils manquent d'entrainement et de matériel pour affronter les soleils noirs...
-Ne m'insultez pas, mercenaire. Mon honneur exige que je venge moi même l'affront et que je tue cette petite merde de Kros moi même... C'est non négociable. Je rêve de ce que je lui ferait à chaque instant de ma vie depuis cinq années...

Varig retint une moue de mépris. Comme si ce criminel avait jamais eu un honneur... Plus que le désagrément engendré par la ballade en bateau, devoir collaborer avec cette engeance mettait sa volonté à rude épreuve.

-C'est entendu... Alors faites en sorte que vos hommes restent hors de ma ligne de tir et celle de mon coéquipier durant l'assaut.

Le tueur se détourna et retourna au bastingage en vérifiant le serrage de son gilet pare balle.
Quelques jours plus tôt, lors de l'opération commanditée par le credo contre le soleil noir à Las Fantas, Varig avait récupéré des données intéressantes. Apparemment, le co-fondateur du soleil noir, boss Nasse, n'avait pas été tué quand Kros avait prit le contrôle du groupe. Kros avait fait l'erreur de le torturer avant de lui mettre une balle dans la tête et d'abandonner son corps sans vérifier sa mort. Une erreur qui aurait sans doute été sans conséquence si les derniers fidèles du boss encore en vie ne l'avaient ensuite récupéré et soigné.
Quelque part, Varig éprouvait de l'admiration pour la haine sans limite qui avait permis au criminel de survivre à tant de souffrances. Boss Nasse ne vivait désormais que pour une chose: tuer l'ami qui l'avait trahit et mutilé, le jeune criminel un peu trop ambitieux avec qui il avait fondé son groupe connu sous le nom de Dan Kros.
Retrouver le criminel n'avait pas été trop difficile aux agents du credo en raison de son "faciès" bien reconnaissable et abondamment décrit dans les fichiers que Varig avait "saisi". Il se cachait dans la cité impérial d'Ahi'Kufu hors de portée du soleil noir, et tentait de monter un groupe comparable dans la ville, sans grand succès.
Grâce aux informations qu'il détenait, le credo avait localisé l'insaisissable chef du soleil noir. En échange, Boss Nasse avait exigé de tuer lui même son bourreau.
Le credo voyait l'idée d'un très bon œil; tuer Kras porterait un coups fatal au soleil noir. Mais risquer la vie d'un de leurs précieux agents dans une opération aux allures de mission suicide qui pouvait se révéler être un piège ne les enchantait pas vraiment... Ils avaient donc décidé de faire appel à un extérieur qui venait de prouver son efficacité à Las Fantas: Varig. S'il mourrait, ça n'avait pas vraiment d'importance, s'il réussissait le bénéfice serait le même. Typique du mode de pensée des assassins. Pourquoi se mettre en danger quand d'autres pouvaient le faire à la place?
Le voyage continua un moment, toujours aussi désespérément morose. Varig renvoyait des regards noirs aux quelques hommes de main qui le fixaient.
Et puis les lumières de leur cible apparut à l'horizon.
D'après le boss Nasse, Kras se trouvait dans l'une des îles forteresse du soleil noir, au large de Nabrest. Le terme de forteresse était excessif, mais la sécurité du lieu restait assez impressionnante.
Le manoir occupé par le soleil noir se dressait en haut d'un falaise à pic qui semblait jaillir de la mer. Le seul accès praticable était un large escalier sinueux qui reliait un ponton aux jardins du manoir en grimpant le long de la paroi, parsemé de soleils noirs en armes. De jour, ils n'auraient même pas pu s'approcher et auraient reçu une roquette en guise de bienvenue.
Tandis que le bateau parcourait les deux derniers kilomètres avant le ponton, Varig se rapprocha d'Etel et lui glissa à voix basse:

-Ça va être violent, alors pas besoin de te retenir. Donne tout, sans camouflage. L'île est pourrie de soleils noirs, et les types qu'on a avec nous sont des brutes épaisses. Ils vont foncer dans le tas en tiraillant. Tu pense pouvoir nous infiltrer directement par le haut en volant?

Pour l'instant, Etel se sortait très bien de sa première mission en équipe. Il était réactif et ne posais pas de questions... Deux bons points. Restait à voir comment il se comporterai en combat...
Varig revint vers le boss Nasse.

-Nous infiltrons le manoir séparément. Continuez vers le ponton à petite vitesse, mais ne commencez à tirer qu'à mon signal.
-Votre signal?
-Quand vous entendrez une fusillade nourrie vous pourrez considérer que c'est mon signal.

Il revint vers Etel, qui avait déjà enjambé le bastingage. Il attendait Varig dans une sorte de bouclier de vent qui flottait au ras de l'eau, en suivant la trajectoire du navire. Exactement comme il l'avait fait pour faire voler Elaine le soir de leur rencontre...
Elaine... Varig jeta ses lunettes de soleil par dessus le bastingage d'une pichenette. Il n'avait pas dit grand chose au Teremundo, et soigneusement caché qu'il avait revu la jeune fille. Il ne lui avait pas non plus parlé du credo. Après cette mission, il faudrait sans nul doute le faire... Dans une équipe, une certaine confiance était nécessaire. Ce soir, Etel allait avoir l'occasion de gagner la sienne. A Varig de faire de même...
Le tueur enjamba le bastingage et retomba dans le bouclier de vent, juste à côté d'Etel. Varig lui donna une petite oreillette de communication.

-Met ça et allons y.

Ils filèrent au ras de l'eau vers l'île. Le vent sifflait autour d'eau, mais ils ne faisaient pratiquement aucun bruit. Quand ils arrivèrent en bas de la falaise, au lieu de s'écraser dessus à pleine vitesse, ils se mirent à monter aussi silencieusement et régulièrement que s'ils se trouvaient dans une invisible cage d'ascenseur. Ils dépassèrent une terrasse installée sur le plateau de l'île et se retrouvèrent donc à s'élever au dessus du manoir et des jardins. Varig analysa la situation en quelques instants grâce à ses mutagènes. Le parc devait bien mesurer deux hectares. Des gardes armés (qu'il estima à une trentaine, sans compter d'éventuels dormeurs et hommes de main dans le bâtiment) patrouillaient seuls ou par petits groupes avec quelques chiens dans des allées bordées de plantes parfaitement taillées. Des spot de grande puissance, éteints, étaient fixés sur la façade et le toit du manoir tandis que de plus faible maintenait un éclairage suffisant pour patrouiller.
Directement en dessous d'eux, deux gardes discutaient sur la terrasse. L'un d'eux braquait la lampe torche fixée à sa mitraillette, sans doute intrigué par le déplacement d'air causé par leur passage. Quand au second il fumait une cigarette, détendu, apparemment fort peu concerné.

-Pose moi là.

Le Teremundo obéit immédiatement et laissa tomber le tueur vers les gardes.
Après cinq mètres de chute libre tueur atterri sur le rebord en pierre qui séparait la terrasse du vide, juste à côté de la sentinelle qui scrutait le vide. D'un mouvement presque instantané, le tueur l'égorgea d'un coups de couteau de lancé, avant d'expédier l'arme vers son camarade. Le couteau siffla et se planta dans sa gorge.
Le premier homme de main bascula dans le vide avec son arme sans un cri tandis que le second s'effondra à genoux, les mains sur sa gorge, un air étonné plaqué sur le visage. Varig descendit du rebord et écrasa du pied la cigarette encore allumée qui avait roulé jusque là.

-On ne le répétera jamais assez...

Le soleil noir acheva de s'effondrer, mort. Le tueur s'approcha d'un pas nonchalant.

-... Fumer tue.

Il se pencha sur l'homme et rengaina le couteau après l'avoir sommairement essuyé sur le col de chemise de sa victime. Puis il lui fit méthodiquement les poches. Il embarqua sa carte magnétique, son talkie-walkie, sa mitraillette et son paquet de cigarettes avant de balancer le cadavre. Il disparu dans l'abyme, avalé par la nuit. Des deux sentinelles, il ne restait maintenant qu'une tache rouge sur les dalles de la terrasse et une odeur de sang que seul l'odorat surdéveloppé du tueur mutagène, d'un Teremundo ou d'un chien aurait pu percevoir.
Varig rajusta les pans de sa veste et passa la bandoulière de la mitraillette autour de son cou. Sa tenue lui permettait aisément de se faire passer pour un des gardes, avec la carte magnétique en prime. Il était temps de poser quelques bombes...

-Etel tu es sur le toit? C'est bien, reste en position. Je te recontacte.

Prenant un air détaché, le tueur se mit à marcher dans les allées nocturnes. Il croisa un premier binôme de gardes qui ne lui dirent pas un mot et ne s'occupèrent pas outre mesure de lui. Il se rapprocha tranquillement du manoir, croisant d'autres gardes qui ne s'intéressaient presque jamais à lui ou s’arrêtaient pour échanger quelques mots. Les ennuis commencèrent à une cinquantaine de mètres du manoir. Alors qu'il croisaient une nouvelle patrouille, un le chiens qui les accompagnait se mit à grogner, museau braqué sur la botte de Varig. Il sentait le sang. Son maître et un autre garde se rapprochèrent.

-Eh, qu'est ce qui se passe Ulysse? Il a quoi?

Le chien continua à grogner. Très détendu, Varig tira de sa veste la carte magnétique.

-Doucement les gars je suis avec vous... C'est ce nouveau parfum, à chaque fois que je croise un de ces putains de clebs ils réagissent comme ça...

Le maître chien examina la carte et la lui rendit avec un petit rire.

-Change de parfum mec! Ulysse, ta gueule.

Il frappa la tête du chien, qui continua à grogner mais en sourdine. Pris d'une subite inspiration, Varig décida de pousser son avantage.

-Je dois aller voir un type au circuit électrique de secours, savez vous où c'est?
-Ouais c'est juste derrière le manoir. Ulysse!

Le coups fut plus violent et le chien couina. Son regard alla alternativement de Varig à son maître. Finalement, l'animal se tu. Le tueur eu un petit sourire. Un véritable maître chien aurait pu comprendre, mais manifestement cette petite crapule en costume en était incapable. Tant mieux.

-Merci du tuyau.

Le tueur suivi les instructions du maître chien et localisa rapidement le petit transformateur. Le plan de Varig reposait sur le fait que les soleils noirs avaient deux réseaux électriques, mais pas trois. Supposition qu'il allait vérifier auprès des gardes en faction, trois types baraqués en costume qui fumaient et discutaient.

-Bonsoir les gars.

Il échangea quelques mot avec eux nonchalamment appuyé contre le transformateur avant de repartir. Une fois seul et hors de vue, il activa son communicateur.

-Etel? Je me suis infiltré. On va semer un peu de chaos pour nous faciliter la tache... De là haut tu dois avoir un visuel sur un transformateur, au nord est dans les jardins. Tu l'as? C'est le circuit d'énergie principale. Alors voilà ce que tu vas faire...

Varig lui expliqua rapidement son plan. Les soleils noirs n'allaient pas en revenir.

Quelques minutes plus tard, le tueur était revenu dans le jardin. Il traça droit sur la grande et haute fontaine installée devant le manoir. Il enjamba la bordure en marbre et commença à grimper, en prenant soin de ne pas trop se mouiller. Un premier garde remarqua son manège.

-Eh toi là bas! Qu'est ce que tu fout! Descend de là! Putain mais il fout quoi ce con?

Plusieurs autre gardes s'approchèrent de la fontaine et des ordres s'échangèrent dans les talkies-walkies. Varig, apparemment complètement détaché se hissa sur la tête d'un faucon qui dominait la fontaine et sortit tranquillement une paire de lunette et les chaussa à l'instant où les spot de grande puissance disséminés dans le jardins s'allumaient, éclairant le jardin mieux qu'en plein jour.

-Etel t'as intérêt à être prêt... Si ça rate je vais vraiment être ridicule. Et mort.

Une quinzaine de gardes encerclèrent la fontaine et le visèrent. Des dizaines de gardes sortirent au petit pas de course du manoir et épaulèrent eux aussi l'étrange homme sortit de nul part.
Parfaitement à l'aise Varig les toisa avec un grand sourire avant de se racler la gorge. Ce simple raclement de gorge déclencha le bruit d'une bonne cinquantaine de cran de sûreté que l'on hôte. Le tueur lança d'une voix forte:

-Chers amis soleils noir, bonsoir!

Plusieurs hommes se lancèrent un regard incrédule. C'était qui ce type?

-Avant de commencer, je tenais à être sûr d'avoir toute votre attention...

Un homme en peignoir entouré d'une dizaine d'hommes sortit sur la terrasse du manoir, pile à la hauteur de Varig à une vingtaine de mètres de lui.

-Y a il dans cette honorable assemblée quelqu'un habilité à parler au nom de tous? Un porte parole?

L'homme sur la terrasse hésita avant de lancer.

-Je suis Saretone Climo, maître en ces lieux et lieutenant du soleil noir. Puis je savoir ce que vous...?
-Enchanté monsieur climatiseur! On m'appelle Spectre, mercenaire et occasionnellement comploteur.

Varig fit une petite révérence, en équilibre sur la tête de la statue. Saretone rougit violemment.

-Je suis venu vous signifier de vous rendre et de me remettre Dan Kros. Veuillez déposer vos armes et tout se passera sans violence.

L'homme resta une seconde incrédule avant d'éclater d'un grand rire. Rire qui se communiqua rapidement à ses sbires. Varig observa cet éclat d’hilarité avec le plus grand sérieux. Le mafieux en chef parvint à se reprendre assez pour lancer:

-Et bien "Spectre", vous comptez faire ça tout seul? En outre on vous aura mal renseigné. Monsieur Kros est reparti voici plus de trois jours maintenant.
-Oh, je vois j'arrive trop tard... Et bien, mon très cher congélateur je me contenterai donc de vous placer en état d'arrestation. Alors vous vous rendez?

Le rire s'amplifia. Cette fois Saretone mit une bonne minute à se remettre.

-Je dois dire que c'est une méthode de suicide fort divertissante, et la plus originale que j'ai vu... Merci pour m'avoir fait tant rire.
-Dois je comprendre que c'est non?

Saretone éclata à nouveau de rire, imité par une bonne part des gardes devant l'étonement exagéré de Varig.

-Pitié, tu vas tous nous faire mourir de rire! C'est ça ton plan? J'ai presque 150 hommes ici, tous armés... Tu n'as aucune chance. Vous devriez plutôt vous rendre... Je saurais vous accorder une mort rapide à vous et vos complices... Je n'avais pas tant ri depuis longtemps!
-C'est donc non?
-Non.

Varig exécuta une nouvelle révérence en souriant.

-Alors je n'ai qu'un mot à dire mon cher clémentine... Kaktuks!

Le mafieux haussa un sourcil. Pendant un long instant rien ne se passa. Et puis ce fut le chaos.
L'énorme explosion produite par le pain de C4 placé par Varig sur le transformateur de secours souffla une bonne moitié de l'arrière du manoir, tandis qu'un tir d'un fusil de très gros calibre fila s'écraser dans le jardin. Aussitôt, toute la propriété fut plongé dans le noir. Après une demi seconde d'éblouissement, les soleils noirs braquèrent leurs lampes et se mirent à tirer, pulvérisant la fontaine. Mais Varig n'était déjà plus là.
A l'instant ou la lumière s'était éteinte, il avait tiré son grappin, activé le rembobinage pour se projeter sur la terrasse du manoir avant de se laisser tomber derrière Saretone, au milieu de ses gardes désorientés. Il tira deux coups de feu à bout portant dans la tête des deux à sa droite et sa gauche, frappa d'un coups de crosse à la tempe leur chef et sauta sur un autre soleil noir qu'il fit basculer par dessus la rambarde. Il s'écrasèrent deux étages plus bas avec un bruit sourd sur un homme de main qui ne su jamais ce qui lui était arrivé.
Aussitôt au sol, Varig tira trois coups précis avant de courir se mettre à couvert dans le bâtiment, éliminant rapidement à la lame rétractile les deux gardes qui se trouvèrent sur son chemin et dont les corps roulèrent dans l'escalier.
A l'extérieur, les soleils noirs paniqués avaient commencés à tirer dans tous les sens et à s'entre décimer. Ils avaient l'impression d'être attaqués de toute part et ripostaient aux tirs amis aggravant encore le chaos.
Dans le hall plongé dans le noir, Varig cribla les six soleils noirs présents de balles avant qu'ils puissent réagir et monta les escaliers quatre à quatre.

-Bien joué Etel. Nasse et sa bande sont en train de débarquer... Rejoint moi dans l'aile est au deuxième étage dès que possible. Pas de quartier.

Ça allait être un beau massacre.

Varig était parfaitement à l'aise. Il se sentait dans son élément. Vivant.
Climo avait commis une erreur des plus classique: ses hommes étaient trop nombreux et se gênait mutuellement. Malgré leur infériorité numérique, Varig et ses alliés avaient clairement l'avantage; attaqués par un ennemi invisible et partout à la fois, les soleils noirs tiraient dans tous les sens abattant leurs propres camarades et libérant le passage à l'équipe de Nasse qui n'avait, elle, qu'à tirer sur tout ce qui bougeait sans se soucier d'éventuels alliés.
Varig continua de monter les marches en silence. Ses yeux de mutagènes lui permettaient de voir dans l'ombre avec facilité.
Mais il n'en avait pas besoin pour voir le soleil qui scrutait le hall à m'aide de sa lampe. Allumer une quelconque source de lumière dans cette situation était suicidaire. Un de ses camarades descendait les marches sans lumière, arme braquée sur les ténèbres. Il repéra un vague mouvement.

-Qui est là!?

Le monde tournait au ralentit pour le tueur mutagène. Varig attrapa et dévia le pistolet vers le sol avant d'égorger son propriétaire d'un mouvement fluide. Un coups de feu partit vers le sol et le soleil noir tomba dans les escaliers.
Varig avait déjà monté les dernières marches et se jeta sur le second qui avait braqué sa lampe torche et son arme vers lui. Le tueur écarta le pistolet presque avec douceur tout en frappant l'homme de main d'un puissant direct à la mâchoire. Il décolla, arracha la rambarde avant de s'écraser en bas du hall. Son arme tressauta, produisant des éclairs de lumière.
Deux autres soleils noirs, hors du champs de vision de Varig quand il montait les marche, étaient en position dans le couloir. L'un d'eux se jeta sur lui, couteau en avant tandis que l'autre armait son MP 7 sur lequel était fixé une torche.
La suite se passa extrêmement vite. Varig esquiva d'un pas sur le côté et frappa le bras armé juste au dessus du coude, faisant s'ouvrir les doigts de son adversaire qui lacha la lame. De sa main droite il saisit le couteau en vol tandis que le soleil noir poursuivit sa course. La lame du tueur frappa la nuque en sifflant et revint sous sa gorge alors que son bras gauche saisissait le soleil noir en passant sous l'épaule. Varig se retourna vers son dernier adversaire en tenant solidement son bouclier humain devant lui.
Varig sentit le corps tressauter pendant que le soleil noir vidait son chargeur dans la poitrine de son camarade. Dès que le clic caractéristique de la fin de chargeur retentit, le tueur laissa tomber son bouclier humain, fit tourner le couteau dans sa main et le lança. La lame se ficha dans la poitrine du tireur en sifflant et celui ci s'effondra.
L’enchaînement exécuté avec une fluidité presque dansante avait duré moins de cinq secondes.
Le tueur dégaina à nouveau ses pistolets occultes et s'avança d'un pas silencieux et prudent dans le couloir, canon pointés et tous ses sens en éveil. Le vacarme de la fusillade, qui semblait avoir atteinte certaines parties de l'intérieur du manoir, perturbait l'ouïe du tueur mais il restait efficace et ses yeux lui permettaient,t de repérer un soleil noir ou un éventuel faisceau de lampe torche. Il réfléchit rapidement, réexaminant ses options.
L'hélicoptère posé sur le toit avait été pulvérisé par la détonation du C4, Climo allait donc essayer de rejoindre les bateaux s'ils avaient assez d'instinct de conservation pour fuir. Pour ça il devrait traverser le jardin... Et à entendre le festival de coups de feu où le crépitement des automatiques répondait à l’aboiement rauque des gros calibres ce n'était pas réellement une option. Il ne lui restait plus qu'à se planquer dans un coin à peu près intact avec ses gardes du corps en attendant que ça passe...
Il fallait donc se montrer rapide. Pas question de le chercher dans tout le manoir puis de traquer la multitude de soleils noirs survivants un par un, ce serait trop laborieux.
Un mouvement au bout du couloir coupa Varig dans ses réflexions. Le tueur pressa rapidement les détentes des pistolets et vit distinctement un corps s'effondrer grâce aux éclairs de lumière produits par les pistolets au moment du tir et grâce aux impacts des balles occultes de lumière.
Pour être sûr il tira aussi à travers les murs à hauteur d'homme. Autant pour la'approche discrète qu'il utilisait d'habitude. Arrivé au bout du couloir il enjamba le cadavre d'une de ses victimes jetant un oeil nonchalant à droite et à gauche. Plusieurs corps encombraient le couloir et un homme, sans doute blessé, rampait en pointant son pistolet vers les ténèbres, dans la direction de Varig qui l'acheva proprement d'une balle dans la tête. Probablement était il mort sans même s'en apercevoir.
Un autre soleil noir qui s'était couché sans bouger pour attaquer par surprise tenta d'abattre Varig mais Ebony aboya avant même qu'il ai levé son arme.
Dans son oreillette, Varig entendit distinctement un dialogue où il était question d'une grand mère malade suivie d'une rafale. Il haussa légèrement les sourcils et poursuivit sa route.
Les couloirs du manoir étaient devenus un véritable champs de bataille. Les soleils noirs paniqués s’entre tuaient dans les ténèbres; Varig enjambait régulièrement des cadavres, des débris de ce qui avait été le mobilier de luxe du manoir et dans le jardin la fusillade continuait de battre son plein. Cent cinquante hommes armés qui tirent dans tout les sens, ça fait autant de dégâts qu'une vraie petite guerre. Au bout de quelques minutes de progression silencieuse, il décida de modifier son plan de base.

-Etel? Ici spectre. Changement de plan. Kros n'est pas là, on perd notre temps. Pas question de laisser une seule de ces ordures en vie. Je vais dans le bureau de Climo voir si je peux mettre la main sur quelque chose d'intéressant. Pendant ce temps va dans leur armurerie; il est possible que Climo et quelques soleils noirs d'élite s'y trouvent, liquide les et...

Un homme de main embusqué dans un angle de couloir se jeta sur Varig. Sans ses réflexes de mutagène, il serait mort. Au lieu de quoi il se baissa à une vitesse inhumaine, évitant un coups de sabre -qui lui coupa tout de même une mèche de cheveux- faucha les jambes de son adversaire qui tomba à la renverse. Le tueur lui colla brutalement le canon de son arme sur le front et tira deux fois.

-... Désolé de l'interruption. Je disais que tu dois te rendre à l'armurerie qui se trouve au sous sol de l'aile est. C'est la seule salle qui soit en dessous du rez de chaussé tu trouvera facilement. Prend une charge explosive dans leur matériel et met un détonateur à trente minutes, ça suffira. Si leur armurerie est aussi fournie que je l'espère ça devrait faire un feu d'artifice suffisant pour mettre ce caillou sur orbite. Fait moi ton rapport quand ce sera fait, il faudra se barrer en vitesse si on ne veut pas devenir cosmonautes nous aussi.

Varig continua sa progression jusqu'au bureau de Climo. Nasse leur avait fournit les plans et les informations sur la forteresse qu'il avait mémorisé avant l'assaut, aussi se dirigeait il avec aisance à travers les couloirs. Il espérait que Etel disposait du même sens de l'orientation...
Il arriva rapidement à son objectif. La porte était ouverte et une douce lumière orangée en sortait... Le tueur glissa silencieusement le long du mur, pistolets braqués vers son objectif. Arrivé à l'angle de la porte, il jeta un rapide coups d'oeil.
Le boss Nasse et deux de ses hommes se tenaient dans la pièce essayant d'ouvrir un coffre camouflé derrière un tableau.

-C'est spectre, ne tirez pas.

La voix de Nasse l'accueilli, chaleureuse. Sa voix était la seule chose de son corps restée intacte.

-Ah c'est vous spectre... Je suppose que c'est vous le bordel dehors? Joli travail...

Varig entra. Quatre cadavres tués par balle étaient étendus sur les tapis qui recouvraient le sol de la pièce, éclairée par un authentique feu de bois qui crépitait dans une grande cheminée faussement ancienne. Le manoir était décidément le type même de l’arrogance apportée par l'argent. Faire passer du neuf pour de l'ancien, respectable...
Le tueur reporta son attention sur les occupants vivants de la pièce. Nasse se tenait tranquillement assis dans le fauteuil de Climo tandis qu'un de ses homme s'acharnait sur le coffre et que le second surveillait la porte un fusil d'assaut au poing. Derrière le fauteuil une grande baie vitrée donnait sur un vide vertigineux et la mer noire de nuit.

-Content que vous ayez reçu le signal. Où sont tous vos hommes?

Nasse éclata de rire, ce qui donnait l'impression que son visage allait tomber en lambeaux.

-J'adore votre humour. J'ai laissé cinq gars pour couler leurs bateaux et les empêcher de piquer le notre. Vous avez trouvé Kros?

Varig s'approcha du bureau et s'y appuya en rengainant ses pistolets.

-Mon coéquipier devrait bientôt le localiser. Il est coincé sur l'île de toute façon. Vous en êtes où du coffre?

Un petit tintement retentit derrière eux, suivi d'un hurlement. Varig se retourna à toute vitesse, son pistolet sortant de son holster et rejoignit sa main gantée avec une vitesse inhumaine. Le coffre était ouvert mais l'homme de main de Nasse convulsait par terre, les mains sur la gorge. Nasse fit une grimace. Enfin probablement, difficile d'interpréter la contraction du magma de chair qui lui tenait lieu de visage. Le second homme de main le fixait sans savoir que faire.

-Un peu de gaz toxique X16... Le piège classique. Sans importance, ce crétin a neutralisé le produit en mourant. Vos documents sont accessibles... Vous êtes payés. Votre "patron" sera content...

Varig rengaina son arme et se rapprocha du coffre sans répondre. L'odeur piquante du gaz était encore présente mais la substance volatile s'était déjà dissipée. Dans le coffre une cartouche de gaz dégoupillée, un pistolet des billets et surtout une pile de documents et de clés USB étaient soigneusement rangés. Le tueur attrapa un dossier, le feuilleta avant de le remettre en place, satisfait. Il se baissa sur le corps de l'homme de main, dont la peau tournait déjà au verdâtre. Sans émotion ou dégoût il le poussa sur le côté et récupéra le grand sac en cuir qui avait contenu les outils permettant d'ouvrir le coffre. Il se mit à vider méthodiquement le contenu du coffre. Derrière lui Nasse claqua de la langue, impatient.

-Hum... Vous avez ce que vous voulez?
-A ce qu'il semble.

Varig continua sa tâche. Nasse se mit à pianoter sur le bureau manifestement nerveux.

-Alors donnez moi Kros.

Varig referma le coffre.

-Oui tuer Kros... Prendre sa place puisque que les soleils noirs seront décapités...
-Ma place.

Varig sourit. Carnassier. Il baissa les yeux vers sa main droite, que ni Kros ni son homme de main ne pouvaient voir puisqu'il était de dos. Il avait récupéré et armé le pistolet du coffre en même temps que le dossier.

-En ce monde ou dans l'autre...

Il se retournera, leva son arme et tira une balle dans la tête de l'homme de main d'un mouvement fluide avant de braquer son arme sur Nasse qui s'était levé mais n'avait pas eu le temps de dégainer. Sa main quitta lentement son arme pour se lever.

-Chacun fini par avoir ce qu'il mérite. J'aimerait pouvoir dire que je regrette...

Le sourire de Varig s'élargit tandis que ça main gauche soulevait le sac en cuir.

-... Mais en fait je ne vous ai jamais aimé. Adieu.

Le tueur pressa la détente à quatre reprises, chaque projectile atteignant précisément son but. Deux balles dans le coeur, une dans la tête, une dernière dans la baie vitrée qui explosa en des centaines d'éclats tranchants. Nasse partit en arrière et bascula dans le vide. Varig termina le chargeur sur les cadavres des deux hommes de main avant de jeter le pistolet à travers l'ouverture béante sur la mer. Le tueur chargea le sac sur son épaule et dégaina de nouveau son propre pistolet occulte avant de quitter la salle le précieux sac de documents à la main.

-Etel? Ça vient cette bombe, ou tu veux un coups de main?

-Je suis en route. Tu ferais mieux de sortir pour admirer le feu d'artifice.
-Reçu. On se regroupe devant le manoir.

Varig n'eu qu'un croisement de couloirs à franchir au pas de course avant de trouver une fenêtre. Sans même ralentir, il fit feu et traversa l'ouverture au milieu d'un torrent de verre.Pour un humain normal, la chute aurait été morelle. Mais pas pour lui. Encore en l'air, il commença déjà à faire feu sur les ombres mouvantes du jardin.
La chute dura plusieurs secondes. Un souffle d'air balaya la poussière autour de lui tandis qu'il se redressait lentement.
Un feu brûlait dans un massif d'arbres éclairant la scène d'une lumière apocalyptique.
Le parc était ravagé. Les cadavres de soleils noirs criblés de balles s'empilaient dans les allées naguère propres et ordonnées tandis que des coups de feu sporadique secouent encore le calme de la nuit, éclairant ça et là les haies mise en pièces. Un homme, blessé, déambulait au milieu du chaos en se tenant le ventre. Le tueur leva son arme et lui tira une balle dans la tête, avec autant de calme et de détachement que s'il avait s'agit d'une cible en carton.
Son regard balaya à nouveau le jardin. Plus personne de debout n'était visible, et les gémissements d'agonie se mêlant au crépitement des flammes laissait peu de doute quand au destin des gardes. Il rengaina, satisfait, avant de se diriger vers la fontaine au centre du jardin, qui ressemblait plus à un vestige antique qu'à une construction récente vu les impacts reçus lors de la bataille, afin d'y attendre Etel.
Traversant les allées ravagées, il s'assit sur un dernier morceau de margelle encore intact. L'eau de la fontaine avait ruisselé tout autour, se teintant de rouge en rencontrant les rivières de sang partant des corps hachés par les balles des soleils noirs. D'ici, sa tenue sombre le rendait presque invisible.
L'assassin n'eut que quelques minutes à attendre dans l'ombre protectrice de la fontaine du jardin avant de voir Etel sortir du manoir, main sur son oreillette.

-Tout est mis en place. Nous devons par-......

Une violente explosion secoua l'air. Quelque chose avait brutalement soufflé le toit du manoir et les deux étages les plus haut, activant les bouchons magiques du tueur qui protégèrent ses tympans ultrasensibles de la détonation comme ils le protégeaient déjà des coups de feu.
Dans un immense fracas et un nuage de poussière de marbre, le manoir s'effondra sur lui même.
Le tueur se tenait assez loin pour ne pas être plaqué au sol, mais des débris de marbre coupant le frôlèrent tout de même, ouvrant une longue traînée sanglante sur sa joue. Il n'y prêta aucune attention, endurcit à des douleurs bien plus fortes. D'ailleurs son sang de mutagène coagulait déjà, refermant la blessure à grande vitesse. En quelques heures il n'y en aurait plus aucune trace. Sans attendre la fin de l'éboulement de la grandiloquente demeure, le tueur s'élança vers le dernier endroit où il avait vu Etel avant l'explosion, plongeant dans un brouillard de poussière.
La détonation était partie des étages supérieurs et pas de l'armurerie. Peut être un coups de Climo, un piège, une fuite de gaz... Ce n'étais pas important. Ce qui était important c'était que la vraie explosion, qui ferait passer celle ci pour un pétard mouillé, était encore à redouté. Etel n'avait pas terminé sa phrase, mais il disait avoir armé la bombe dans l'armurerie, et le tueur ne savait pas combien de temps ils avaient avant d'être mis sur orbite.
A travers un rideau opaque de poussière, Varig cherchait Etel. Il ne se faisait pas vraiment de souci pour sa santé; après tout, les Teremundos étaient solides. Certains des plus puissants résistaient même aux balles... En revanche le détonateur ensevelis l'inquiétait déjà beaucoup plus et il était donc plutôt pressé. Après quelques secondes de recherche attentive, le tueur repéra une forme incertaine qui tentait de se redresser, main sur l'oreille comme venait de le faire Etel précédemment. Il traça droit sur l'homme et l'aida à se relever en le soutenant.

-Par les dieux... C'est la guerre ici!

Ce n'était pas Etel. D'un infime mouvement de poignet, Varig fit jaillir la lame rétractile de la main qu'il avait posée sur l'épaule de l'homme, l’expédiant rejoindre ses "dieux" païens et hérétiques. Le métal aiguisé pénétra la chair et atteint en un instant la gorge de l'homme, sélection les tissus et les veines avec aisance. Surprit par la froide morsure de l'acier, le soleil noir émit un gargouillement et plaqua malhabilement ses mains sur la plaie béante d'où jaillissait son sang. Le tueur se dégagea d'un mouvement sec en faisant rentrer la lame rétractile dans son logement avant de laisser tomber le corps de l'homme qui agonisait toujours avec une pensée succincte et détachée pour l'acharnement qu'avaient les humains à vivre. Une blessure de ce type était toujours mortelle -à moins d'être un mutagène, et encore-, pourtant la plupart de ceux qu'il avait tués ainsi se débattaient avec vigueur, dans un dernier et inutile sursaut de vie. Une manière de s'accrocher désespérément à la vie, se battre pour tenir la mort à distance. Mais dans un monde où la mort de chacun est inéluctable, la vie elle même n'était elle pas qu'une vaine gesticulation guidée par la peur de disparaître?
La nécessité de l'instant chassa vite son début de réflexion philosophique. Ses oreilles captèrent le son d'une voix à travers le bruit ambiant de ce qu'il fallait bien appeller une bataille.
Sans hésitation il se dirigea vers le bruit. Après quelques secondes, il distingua la voix puis la silhouette Etel qui semblait s'acharner sur ce qui restait de son communicateur.

-C'est Spectre, lança il pour signaler la présence tandis qu'il rejoignait Etel. Je suggère qu'on file en vitesse. La bombe peu exploser à peu près n'importe quand avec cet éboulement et j'aimerait autant ne plus être là quand ça arrivera... Tu peux marcher?

Le Teremundo aquisca.

-Parfait, alors en avant! L'explosion fera le travail à notre place inutile à perdre notre temps à massacrer tous ces salopards.

Sans rien ajouter, le tueur se mit à courir à travers les allées. L'île n'avait qu'une seule "issue", les bateaux. Pour les rejoindre, il fallait traverser le jardin et atteindre et descendre l'immense escalier qui serpentait le long de la falaise pour arriver jusqu'aux quais où les bateaux étaient amarrés.
Les derniers soleils noirs encore valides, apparemment un peu plus malins que les autres, avaient fait le même raisonnement. Malheureusement pour eux, aborder un bateau sans tirer dessus était difficile. Les tirs nourris qui provenaient de cette direction montrait que les derniers hommes de Climo, groupés autour de la vedette sans doute, menaient la vie dure au fuyards du soleil noir.
Mais Varig avait un autre plan. Arrivé à la fontaine, il bifurqua sans hésiter vers la falaise à pic. Etel suivi le mouvement et le rattrapa sans trop d'effort malgré sa vitesse de mutagènes, usant sans doute d'un art occulte. En quelques secondes, ils furent en vue du vide.

-On saute, fait nous voler comme tout à l'heure!

Sans attendre de réponse, le tueur se propulsa en avant dans un bond inhumain. Il franchit une bonne quinzaine de mètres, frôla la rambarde avant de tomber dans le vide de la nuit en espérant qu'Etel le rattraperait à temps.
Dans les sous sol, le détonateur de la bombe, écrasé par l'éboulement, affichait des suites de chiffres incohérents. Brusquement, l'écran s'éteignit. Une seconde passa. Et puis une impulsion électrique initiant une réaction en chaîne.
Une petite quantité d'azoture de plomb contenu dans le détonateur explosa, mettant aussitôt à feu une seconde charge d’amorçage, un gramme de penthrite et en moins d'un dixième de seconde, la détonation des deux puissant produit fit exploser le pain de C4.
Varig avait étudié sa cible avec minutie. Les îles de ce type n'apparaissent que dans un seul cas: quand la lave des volcans sous marins atteignait la surface de l'eau et, en s'accumulant, permettait à une terre d'émerger de l'eau. Pour construire le manoir, les soleils noirs avaient remplis le cratère de terre pour former un espace plat et cultivable...
Mais l'armurerie était la pièce la plus basse du manoir, directement collée au bouchon de magma solidifié qui empêchait le volcan de se réveiller. La charge pulvérisa tout simplement ce bouchon, libérant des années de gaz chauffé par la lave et comprimé par la roche, et déclenchant une nouvelle réaction en chaîne.
Les ruines de ce qui restait du manoir furent pulvérisés et projetés aux quatre vents tandis qu'un grondement formidable montait du trou béant creusé dans le sol du plateau de l'île, ouverture qui s'élargissait rapidement tandis que terre et roche plongeait dans l’abîme. Au fond, une lumière orangée se rapprochait tel l'oeil d'un géant monstrueux.
Le volcan venait de se réveiller.

Une fois le nuage de poussière et de cendre un peu retombé, la destruction de l'île-volcan du soleil noir apparue dans sa totalité.
La partie supérieure avait été soufflée dès les premiers instants, "décapitant" le rocher et achevant tout ce qu'il y restait de vivant. Ensuite, la lave avait remonté la cheminée du volcan, fissurant la pierre et débordant de la paroi à pic et touchant la mer dans un nuage de vapeur. Certains soleil noirs ayant tardivement tentés de s'éloigner à la nage furent ébouillantés ou fracassés par les débris de roches qui tombaient en pluie de la falaise. Non que le destin de ceux qui étaient parvenus à s'éloigner soit plus enviables; au bout de quelques heures de lutte, il finiraient par se noyer. Finalement, ceux tués proprement d'une balle lors de l'assaut avaient étés les plus "chanceux". La destruction des soleils noirs étaient totale.
Varig et Etel avaient échappés de peu à l'explosion (ou plutôt l'éruption), et n'avaient survécu à leur vol chaotique que grâce au bouclier de vent du Teremundo. De grosses scories et autres débris étaient venues frapper plusieurs fois leur protection.
Au bout de quelques minutes de vol, ils avaient toutefois pu souffler. Profitant du calme relatif (voler au dessus de la mer en pleine nuit et à quelques kilomètre d'une éruption volcanique n'était pas à proprement parler une activité calme) Varig avait consulté son PDA et orienté Etel jusqu'à un yacht noir et effilé qui naviguait tous feux éteints au mépris de toute règle de sécurité. Les deux mercenaires -encore que le terme tueur convienne aussi bien vu le massacre qu'ils venaient de commettre- s'étaient posés en douceur sur le pont, sous l'oeil neutre des occupants du navire. Aucun d'entre eux ne semblait gêné par l'absence totale de lumière.
Ils étaient tous vêtus de noir et bougèrent sans avoir besoin de se concerter de manière à les encadrer. Varig posa un bras sur l'épaule d'Etel afin de le tranquilliser. Il savait que si les tueurs du credo avaient voulus les tuer, leur attaque aurait déjà eu lieu.
Un homme élancé et maigre avec un profil d'oiseau de proie se détacha du groupe et s'approcha d'eux. Varig s'inclina légèrement, poing sur le coeur.

-Silas.

L'homme lui rendit le salut.

-Varig. Il t'attend sur le pont supérieur... Seul.

Le tueur se tourna vers Etel qui ouvrait la bouche.

-Ce sont des amis. Ça va, je m'en charge si tu permet.

Celui ci jeta un regard noir à "Silas" avant de hocher la tête.
Varig et Silas entrèrent dans le yacht et montèrent un escalier. Les deux hommes se dirigeaient avec aisance dans le noir, sans faire aucun bruit. Au bout de quelques marches, ils débouchèrent à nouveau à l'air libre. Sur le pont supérieur, un tout jeune homme aux cheveux blancs observait le point rougeoyant que formait le volcan à l'horizon à l'aide d'une paire de jumelles. Sans que le jeune homme fasse quoi que ce soit, Silas redescendit.
Quand à Varig, il s'approcha et s'accouda au bastingage juste à côté de lui. Il le salua de la même manière qu'il avait salué Silas.

-Primus.

L'homme ne bougea pas les lèvres et n'émit aucun son; pourtant la réponse résonna clairement dans l'esprit de Varig.

"Bonsoir, Varig. Comment s'est passée la mission?"

Varig fit la grimace.

-Mal. Manifestement Kross à dupé cet imbécile de Nasse, et Climo par la même occasion. Il a renforcé sa "garnison" et est partit sans prévenir ses hommes de notre "visite". Je me demande même s'il n'a pas pulvérisé une partie du manoir à distance.

"Climo et Nasse?"

-Morts avec leurs chiens de garde. Dommage, on aura pas de pareille occasion de tuer Kross avant longtemps...

Primus abaissa les jumelles.

"Tant pis, on aura essayé. Et puis cette opération n'est pas un échec complet... Tu as fait du bon travail. Liquider autant de vermines... Mes compliments. Malheureusement je craint que la soirée ne soit pas finie..."

Varig plissa les yeux et sa mâchoire se crispa.

-Explique.

Primus remis les jumelles sur ses yeux et garda le silence quelques secondes avant de répondre.

"Etel Aposel. C'était un agent du credo, il y a longtemps... Avant même que toi et moi soyons ce que nous sommes en fait. Unité 3. Il a enfreint ses ordres pour mener une vengeance personnelle et cela l'a mené à ce qu'il est aujourd'hui. Plusieurs de nos agents avaient été blessés à l'époque. Dès que nous l'avons identifiés avec toi, le vieux chef à ordonné son élimination. D'après Ytoran, c'est de l'eau qui dort; il a une amnésie partielle, mais le voile peut se déchirer à tout moment... Et là il sera à nouveau hors de contrôle. Je sais de quoi je parle."

Varig serra le métal du bastingage qui se tordit légèrement sous la pression dans un chuintement.

-Envoie moi les preuves.

Primus baissa à nouveau ses jumelles et planta son regard rouge sang dans celui bleu acier de Varig. Un flot de pensées se déversa dans son esprit. En un instant défilèrent des images, des conversation, des dossiers. En un instant il savait, connaissait tout ce que Primus avait voulu lui transmettre aussi bien que ses propres souvenirs.
Grace à ses mutagènes, son cerveau ne mis qu'une minute à faire le tri.
Autrefois agent du credo, Etel avait désobéi. Abandonné sa mission pour suivre sa vengeance personnelle. Il n'avait pas hésité à frapper les agents envoyés pour le ramener, tout ça pour avoir sa précieuse revanche... Une revanche qui l'avait mené au delà de ses limites faisant de lui un Teremundo.
Seul son amnésie l’empêchait pour le moment d'être le monstre qu'il aurait du devenir et qu'il deviendrait bientôt. Etel était mourant, sans le savoir; bientôt il se dissolverait totalement dans sa partie démoniaque. C'était lent mais inéluctable.
Varig aurait aimé refuser la conclusion impitoyable qui découlait de cette connaissance, mais ce n'étais pas son genre de fuir sa propre logique, aussi cruelle soit la conclusion... Et le prix à payer.
La voix de Primus résonna à nouveau dans son esprit.

"Il redeviendra bientôt lui même. C'est cruel mais c'est ainsi. Selon Ytoran c'est inéluctable, et c'est un expert en mémoire... Désolé Varig, mais tu sait ce qu'il faut faire. Pas question de prendre le risque de voir le véritable Etel Aposel revenir... J'ai décidé de ne pas en faire un cobaye pour Ytoran. Il mourra ici, rapidement. C'est tout ce que je peux faire pour lui. Notre mission est et sera toujours de purger le mal... Quelqu'en soit le prix et sans s'arrêter à nos sentiments personnels."

Varig hocha, la tête, le visage dur. Chercher un remède ne servait à rien... C'était toute sa personnalité qui disparaîssait rapidement comme un bois rongé d'insectes. Même si on pouvait le faire redevenir humain ou lui faire subir un lavage de cerveau, ça ne changerait rien. Sa vrai personnalité finirait toujours par reprendre toujours le dessus. Il fallait le tuer avant, c'était la seule solution logique.

-Merci. Tu as raison, je vais m'en charger. Après tout, c'est ma responsabilité...

Primus secoua la tête.

"Non. J'ai une autre méthode. Appelle le. Voila ce que je vais faire..."

Varig hésita une seconde avant de s'exécuter.
Etel arriva presque aussitôt, cinq tueurs d'élite du credo sur ses talons. Varig remarqua que Sandra n'était pas là.

-Oui?

Les tueurs s'écartèrent en silence, sans doute sur l'ordre mental de Primus. Ce dernier se retourna avec lenteur et regarda Etel avant de lui lui sourire tristement. Etel écarquilla les yeux. Puis il fronça les sourcils... Il se tourna vers Varig avant de ramener son regard vers Primus. Celui ci hocha la tête.
Varig ne broncha pas, habitué à ces dialogues mentaux aussi rapides que silencieux. Quoi que lui dise Primus, c'était la meilleure chose à faire pour le convaincre. Et quoi qu'il arrive, Etel ne quitterait pas le pont vivant. Pas avec autant d'adversaires prêts à le mettre en pièce sur un ordre instantané. Au mieux il en tuerait un ou deux. Varig savait qu'il serait le premier visé. Sa main se préparai déjà à saisir son épée. Les pistolets seraient inadaptés au milieu de temps d'alliés...
Toutefois le Teremundos ne son montra pas agressif. Varig vit ses pongs se serrer avant de se rouvrir. Il se tourna vers lui.

-Alors c'est vrai? Je n'existe... Pas?

Varig secoua la tête. Le Teremundo baissa la sienne et s'avança jusqu'à la rambarde du bateau. Sans nul doute Primus lui avait montré... Assez pour qu'il sache ce qu'il allait devenir.

-Varig? Tu veux bien... Faire ce qu'il faut?

Le tueur sortit son pistolet avec sa dextérité habituelle et la pointa sur lui. Son visage était indéchifrable.

-Je regrette Etel. Je regrette vraiment que les choses ne soient pas autrement... Je regrette que ça finisse comme ça.

Etel eu un petit rire sans joie.

-Pas autant que moi. J'aurai préféré mourir là bas, en me croyant encore... En croyant que je pourrais... Être humain plutôt qu'un monstre. Tu voudras bien dire quelque chose à Elaine? Je ne veux pas qu'elle soit triste à cause de moi...

Le tueur crispa sa main sur la crosse. S'il savait pour elle aussi... Mieux valait qu'il ne sache pas en fait. Elle il pouvait peut être l'aider, et s'il n'y parvenais pas... Il ferait ce qu'il fallait. Pour lui, c'était déjà trop tard.

-Tu as été humain. Et tu meurt en homme, pas en monstre. Je trouverais quelque chose pour elle, ne t'en fait pas. Repose en paix... Camarade.

Etel Aposel mourrut avec un sourire sur les lèvres. La détonation claqua et se perdit de le vacarme des vagues et du volcan qui grondait au loin.